Il était une fois un consultant qui n’avait jamais fait son service militaire, ni jamais côtoyé un militaire terrain de près. Pour lui, le meilleur stratège tacticien était Napoléon, et la seule chose qui changeait aujourd’hui par rapport à Guère et Paix il le voyait sur CNN : les bombes étaient maintenant télécommandées à des milliers de kilomètres. La technologie avait elle aussi digitalisé l’armée, en modifiant fondamentalement son rapport à la nation : entre le soldat et l’arme s’intercale le réseau protecteur. Grâce à la technologie, le soldat, mais aussi le parent de soldat, et donc tous les citoyens, n’ont plus à accepter le prix du sang en échange de la protection de l’État. Le contrat seigneurial est caduc.
Mais il y a le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak… Les guerres que mènent les armées classiques aujourd’hui semblent être toujours plus dissymétriques, menées contre des forces organisées en guérillas. Des combats où, quelque soit la puissance et la technologie disponible, c’est la connaissance du terrain, la capacité à se déployer et à se rétracter rapidement qui permet de gagner.
Et alors, malgré CNN et Napoléon, le consultant aperçoit que l’armée a déjà changé, en fait. Que cette énorme machine synonyme d’hiérarchisation absolue, avec son chef ultime le doigt sur le bouton rouge, s’est adaptée, contrainte par le prix du sang, par le coût politique exorbitant de la défaite.
Face à l’incertitude grandissante, elle s’est organisée pour faire confiance aux personnes qui sont sur le terrain, en leur donnant la capacité à s’adapter aux difficultés et à exploiter les opportunités. Les généraux ne sont sollicités que pour définir la stratégie et faire certains arbitrages. Pour cela, les données leur sont remontées filtrées, synthétisées. On sait que les plans sont utiles autant qu’il ne seront pas suivis.
En fait, l’armée a effectuée sa digitalisation dans son organisation même : elle est devenue agile.
